Par Bertrand Thimonier,
Président d'Adviso Partners
La deuxième vague épidémique dans le monde, et surtout en Europe, nous fait craindre désormais un troisième confinement à brève échéance, sans doute plus dur que celui que nous connaissons depuis le mois de novembre. Les nouvelles mutations du virus - britanniques, sud-africaines et amazoniennes - leur potentiel de contagion plus élevé et leur degré de virulence encore incertain obligent les pouvoirs publics à la prudence.
Depuis la fin du mois de novembre, le Gouvernement recommandait déjà aux entreprises de recourir au télétravail « partout où c'est possible » afin de combattre la propagation du virus en limitant au maximum les interactions sur les lieux de travail. De nombreuses entreprises sont ainsi restées intégralement fermées depuis mars 2020. Au-delà des aspects sanitaires circonstanciels, beaucoup de commentateurs du « monde d'après » avaient prédit la fin de l'obligation présentielle en entreprise, la disparition même du bureau et décrit le télétravail comme un nouvel « eldorado » de la nouvelle ère pandémique. Il était même question d'un empowerment individuel du télétravailleur...
Mais nous voyons bien que cette solution provisoire ne peut pas durer. De mauvaises habitudes ont été prises. Les liens se sont distendus, l'entraide, la stimulation d'idées et la pression inhérentes à la communauté de travail s'estompent mécaniquement. Les limites « pro/perso » aussi. Sans parler du stress post-traumatique lié au sentiment d'isolement prolongé de collaborateurs durablement enfermés chez eux et privés de toute interaction sociale. D'après le Gouvernement, plus de 6 salariés sur 10 en télétravail à 100 % depuis novembre souhaitent dès lors revenir dans l'entreprise au moins une journée par semaine. Sur les 20% de salariés en télétravail intégral, 50% d'entre eux souffraient psychologiquement de l'isolement.
Depuis le 7 janvier, le Gouvernement a assoupli sa recommandation. Les salariés qui, jusqu'à présent, accomplissaient toutes leurs tâches à distance, pourront revenir dans l'entreprise un jour par semaine s'ils le demandent. Pour combien de temps encore ? C'est la question.
La perception d'un collectif de travail est essentielle car, au-delà du vivre-ensemble en entreprise, le télétravail intégral désorganise considérablement les entreprises. Et la matérialisation de ce collectif passe par la présence sur le lieu de travail. Cela nous rappelle un point fondamental : le but d'une entreprise doit tendre vers la production d'une intelligence collective au service d'un projet. L'intérêt du collectif, c'est de comprendre que les autres ne pourraient pas réussir sans nous et que nous ne pourrions pas réussir sans les autres, et donc que cette interdépendance enrichit nos modes de pensée et nos pratiques professionnelles. Il appartient bien sûr au management de savoir fédérer ce collectif et de valoriser la qualité de la coopération.
Après chaque confinement intégral, l'enjeu concret pour le management, c'est la remobilisation. L'enjeu pour le collaborateur, c'est la ré-adhésion.
Il convient cependant d'être pragmatique. La pratique du télétravail est entrée dans les moeurs et obligera aussi le management des entreprises à être plus agile, non pas pour passer au tout distanciel mais pour rendre possible la permutation des modes présentiel-distanciel au gré des besoins et des désidératas des collaborateurs. Concrètement, cela implique que le temps passé en entreprise soit davantage dédié à la création, à la collaboration et au partage d'idées, quitte à modifier parfois l'organisation des espaces.
Mais cette crise pointe surtout quelque chose que nous avions perdu de vue : le lien humain. C'est lorsqu'il nous fait défaut que nous en percevons toute la valeur. Seul le maintien du lien permet de générer un engagement résolu au sein des équipes. Le management doit de son côté être inspirant et redonner confiance en dessinant notamment des perspectives et des projets porteurs pour conforter cet engagement dans ce collectif qu'est l'entreprise. En deux mots, lui redonner du sens.